Livia aimait s'asseoir là, dans l'herbe tout près de cet arbre qu'elle a finit par adopter avec le temps. Son carnet entre les doigts, elle gribouillait les balançoires devant elle, assise en indien avec de la musique dans les oreilles. C'est une douce soirée pour laisser ses pensées run away sur un papier. Elle adorait l'odeur du papier. Et ce soir, par hasard, le parc semblait calme. Assez pour qu'elle puisse à son aise, fumer son joint et tracer les lignes fines de ce jeu pour enfant non loin d'elle.

@Andres R. Santana

Allez savoir pourquoi, ce parc je l’aime tout particulièrement. C’est certainement pas le plus beau ou le mieux entretenu, mais c’est un petit bout d’espace vert pour nous à Boyle Heights et j’y viens depuis que j’suis gosse. Ce soir, c’est avec quelques Santos que j’y traine les pieds vers 19h alors qu’on s’installe autour d’une table de pic nic. Je m’assois à même la table, un pied sur le banc et l’autre dans le vide, papotant avec les mecs en riant de la connerie de l’un d’entre eux, totalement inconscient de ta présence un peu plus loin.

Concentrée et avec de la musique, Livia ne remarque pas ta présence ainsi que quelques autres membres des Santos présents. Ce n’est qu’en relevant le menton pour regarder la balançoire, que dans son angle mort, elle voit bouger. Side eyes rapide, elle vous reconnaît. Ça l’amuse un peu. Vous êtes comme des gosses, puis son regard s’attarde sur toi. Oh yes, you. Elle s’appuis contre l’arbre puis elle sourit légèrement. Sa langue passe entre ses lèvres quand elle change de page rapidement pour capter ce que ses opales interceptent. Même à cette distance, elle peut parfaitement recréer la ligne de ta mâchoire. Le sourire qui fait scrunch le coin de tes yeux juste un peu. C’est sans l’ombre d’une difficulté, qu’elle trace les lignes sur son papier, laissant des marques de fusain contre celui-ci.

Je rigole un coup, complètement insouciant. Beaucoup pense qu’être dans un gang de rue veut dire vivre en constante état de panique, de peur. De se la jouer dur, de toujours avoir une arme pointée sur quelqu’un ou bien sur la tempe. Mais au fond, être dans un gang c’est pas que ça, c’est tellement plus que ça. La seule raison qui me pousse à être toujours parmi eux –et ce depuis près de dix ans maintenant- c’est bien que les Santos sont ma famille. Ces gars sont comme des frères, des cousins. Et être là dans un parc à se raconter des conneries et à simplement être qui on est, c’est aussi ça être un gangster. L’envie de quitter le gang est grande, mais il m’est impossible de tourner le dos à ma famille. Je les regarde tour à tour, me questionnant sur leur réaction s’ils savaient que je n’ai jamais voulu vivre cette vie, que je rêve de mieux toutes les nuits.

Pour beaucoup, s’ils voyaient son carnet, ils finiraient par dire que t’es sa muse. Le soucis c’est que ce n’est ni vrai, ni faux. Livia, elle aime capter les gens à leurs naturels. À leurs insus parce qu’il n’y a rien de plus joli, qu’un sourire naturel. La jolie courbe que font tes lèvres quand elles retroussent en coin, dévoilant tes canines aiguisées. Obsédée n’est pas le mot qui décrirait Livia, loin de là. Disons plutôt que t’es exactement le genre de portrait qui fait plaisir à dessiner. Surtout quand c’est des moments comme ce soir, où.. you seems like if you are in peace. L’arc de cupidon qu’elle n’a pas besoin de voir pour la dessiner à la perfection. L’arque de ton nez, tes yeux à la fois révélateur et complètement mystérieux. Et si tu la voyais faire ? Elle ne s’en préoccupe pas, même quand ses yeux t’examinent un peu trop longtemps.

Je n’sais pas comment ils réagiraient et, franchement, ne le découvrirai probablement jamais non plus. Parce qu’il est hors de question que je leur dise quoi que ce soit. Personne n’a le droit de savoir que mon cœur n’y est pas à fond. Personne ne peut douter de ma loyauté et de mon implication parce que le jour où le doute s’installe, j’suis aussi bon que mort. Une nouvelle connerie, un nouvel éclat de rire et je laisse mon regard dévier sur le parc et ses quelques occupants en dehors de nous quatre. Lorsque je te vois plus loin, je ne suis pas certain de te reconnaître, mais t’observe malgré tout une petite minute avant de détourner à nouveau le regard.

Elle relève le menton, quelques secondes pour voir qu'effectivement, t'as finis par la voir. Sans sourcillé, elle redescend lentement ses yeux contre son travail. Livia n'est pas du genre à être intimidé parce que vous vous êtes regardez. Au contraire, ça lui permet de voir ton visage de face. Quoiqu'elle peut tout aussi bien le dessiner les yeux fermés. Elle s'arrête un instant, bougeant ses doigts pour les dégourdirent, mais aussi parce que la douleur s'installe. Elle farfouille dans sa bourse pour prendre deux pilules qu'elle avale avec une gorgée d'eau, puis rallume son joint qui s'était éteint. Elle en est aux cheveux qu’elle estompe de son doigt doucement quand son téléphone vibre interrompant sa musique. papi ? Elle doit rentrer. Tout de suite. Felipe sera là dans 5 minutes tout au plus. Breathe Livia. Elle déteste quand il fait ça. L'appeler avec quelques bribes d'informations. Ça le don de l'angoisser au plus point. Rapidement, elle tente de finir son dessin, enfin, le plus qu'elle peut avant que Felipe n'arrive. Et il arrive beaucoup trop rapidement, klaxonnant avant d'hurler par la fenêtre "Livia, date prisa!" Non mais c'est quoi leurs problèmes avec la subtilité. Elle range maladroitement ses effets, puis se lève en marchant rapidement. "¡Para de gritar, ya voy!" Elle soupire, son longboard frappant contre la bourse et en fait tomber le carnet.

Je ne te porte plus trop attention jusqu’à ce qu’une voiture s’arrête soudainement au bord du parc et qu’une voix familière s’en élève, gueulant ton nom en confirmant qu’il s’agit bien de toi. Je regarde la scène qui se déroule lentement. Toi qui ramasse tes affaires à la hâte, qui se lève tout aussi vite et qui cours jusqu’à la bagnole de ton frère avant de disparaitre non sans te la jouer Cendrillon puisqu’un truc tombe visiblement de ton sac. Je regarde la voiture qui part pratiquement sur les chapeaux de roue et me lève lentement pour aller ramasser ce qui est tombé. Lorsque je découvre ton carnet, je le fais tourner dans mes mains à quelques reprises avant de retourner vers mes potes en l’ouvrant. À l’intérieur, j’ai l’impression de trouver ton journal intime en image et hésite un peu, le refermant avant de le rouvrir aléatoirement. Je tombe finalement sur ce qui semble être ton dernier dessin en date… un dessin de moi. Putain, t’as du talent. Après cette découverte, c’est plus fort que moi, je feuillette afin de voir s’il y en a d’autre de moi et… c’est le cas. Pas qu’un en plus. Torturé, je me demande maintenant si je me contenterai de te le rapporter sans rien dire ou si je te questionnerai à ce sujet. Et moi qui croyait que tu me détestais. Je ris pour moi-même et m’excuse aux mecs avant d’attraper mon skate et de quitter le parc en direction de chez toi.

Une fois dans la voiture, elle s'attache en demandant à Felipe, quel était l'urgence. Rien de grave. Mais sans rien de plus. Livia déteste ça. Ne pas savoir. Ne pas comprendre. Être dans l'néant. Elle n'a qu'une hâte.. rentrer et voir où est le problème de merde. Elle rentre presque en trombe, pour découvrir que tout le monde est là. Ses deux frères, la copine d'Esteban, ses deux enfants, son beau-père et sa mère. Elle bat des cils longuement sans comprendre. C'était juste pour un souper de famille ? Sérieusement ? Livia éclate de rire en secouant la tête. Elle ne peut pas, ne pas sourire quand sa famille est réunit. Alors elle quitte pour ranger sa bourse et revenir s'assoir avec sa famille en discutant fortement, un fond d'musique latine. Sans savoir que son carnet.. est entre tes mains.

Les cheveux dans le vent et ton carnet dans les mains, je parcours les rues de notre quartier lesquelles je connais d’ailleurs par cœur, roulant jusqu’à chez toi. C’est pas exactement à côté, mais c’est pas non plus de l’autre côté de la ville alors ça va encore. Lorsque j’arrive enfin sur ta rue, je ralentis et m’arrête face à la demeure familiale. Plusieurs voitures sont garées à l’extérieur alors je présume rapidement que tes deux frères sont là. Je laisse mon skate sur le bord de la porte et me redresse en tapant enfin, regardant distraitement autour de moi.