une bouffée d'air dans cet océan de sorgue. les portes s'abattent dans son dos, alors que résonne encore les cris de la foule hurlante. la musique n'est plus qu'un lointain echo, un boum boum viscéral s'accrochant aux épais murs de la boîte de nuit. et puis lui, aux boucles brunes ébouriffées, sauvages et indomptées, qui après avoir échangé deux paroles avec le videur fini par gagner le bitume du trottoir. comme lui, jonchés de fumeurs solitaires ou en groupe. tinte sur son torse, le pendentif d'une croix, qui parfois, s'évade au dessous d'une chemise pourpre. ce soir, il a troqué ses jeans troués, ses chaussettes multicolores et le grigri de ses bracelets contre un costume sobre. noir. élégance de demi-mesure, lorsqu'on le vois tenter de marcher en équilibre sur le rebord du trottoir, dans le vague, dans sa propre torpeur. un peu comme avec les flaques de pluies que la chaleur fini par absorber, il s'imagine toujours sauter dedans en traversant un quelconque portail imaginaire. mais y a l'entente de cette voix, qui fini par lui faire lever le museau. félin aux aguets qui reporte ses orbes noyées de fleuves boueux sur un groupe non loin. là où la conversation s'envenime. cette langue natale prononçant des injures, cette posture adroite, qu'il imagine, tremblante d'adrénaline et de fougue. ça ne trahis pas, ça. il s'approche, déterminé, se fichant bien des conséquences, du pourquoi, du comment. et bientôt, leurs orbes qui s'accrochent, ce regard, qu'il ne connaît que trop bien. comme un sursaut, là, quelque part, sous sa cage thoracique, alors que dans un réflexe, il s'agrippe à son poignet.  « deux secondes, je vous le prend. » un clin d’œil lancé à ses opposants alors qu'il se tourne vers lui en haussant les sourcils, l'air de rien. l'entraînant avec lui, dans leur poursuite dans les entrailles de la nuit. un peu à l'écart, quelques mètres plus loin, il fini par le relâcher. « les chats finissent toujours par trouver les souris. » il lève un instant les yeux au ciel, faisant mine de réfléchir. « c'est ce qu'on dit... enfin, je crois. »

Évidemment, y’a pas moyen que je sorte tranquille sans devoir faire la loi. C’est un peu ça aussi j’imagine d’être un Santos. On doit se faire respecter et s’assurer que tout se passe bien pour les affaires. Or vous comprendrez que de tomber sur un imbécile qui croit qu’il peut vendre sur mon territoire c’est pas exactement ce que j’appelle bon pour le business ou tout simplement pour l’image des Santos. Alors le ton monte rapidement, la patience se perd tout aussi vite et j’ai la gâchette qui me démange, les mains portées vers mon glock lorsque ta voix s’élève, que ta silhouette s’interpose. Ton regard croise le miens et j’ai l’impression de tomber dans le vide, de voyager dans le temps, d’avoir à nouveau 15 ans. C’est quoi ce bordel? Mon poignet dans ta main avant que je ne puisse protester, ces deux connards laissés derrière avec la bouche entre-ouverte comme des poissons loin de leur point d’eau. Personne n’a compris ce qui venait de se passer. Nos pieds s’arrêtent, mais mon cerveau n’a jamais fonctionné aussi rapidement. On s’est pas revu depuis quoi, dix ans? What the fuck Eze? Tu me relâches et je fronce les sourcils en faisant un pas derrière. « D’où tu sors toi putain? »

une décennie. presque le quart d'une vie. et pourtant les souvenirs affluent comme de ces vieux livres surannées, à la couverture de cuir poussiéreuse, n'ayant eut le temps d'être terminé par leur auteur. une oeuvre incomplète de temps où leurs jours heureux rimait avec fugue et conversations chimériques. des rêves. des chimères et des fantômes, des ombres opaques du passé. il ne lui restait plus que ça, dans ses mondes psychiques. « dios mio ! Andresso, tu verrais la tête que tu fait. » ce regard tendu vers lui, l'arc ombrageux de ses sourcils menaçant qui le scrute, le dévisage. le chat s'est fait panthère. un fou rire nerveux qui s'éprend de ses entrailles, fait se secouer ses épaules dans un rire mutin, espiègle, sous le nez, de celui qui autrefois, avait été bien plus qu'un badinage d'adolescent. « j'ai un truc sur le visage, c'est ça ? » impossible de s'arrêter et même lorsqu'Andres rejoue de son regard sombre, il s'étouffe avec la fumée de sa propre cigarette pour de nouveau s'esclaffer. et lui, ce brin d'être extravagant qui ne cesse de jouer de ses nerfs comme d'un instrument à la mélopée furieuse. « ou bien... est-ce parce que tu croise à nouveau la perfection, yeux dans les yeux ? » de nouveau, il pouffe de rire, incapable de se prendre au sérieux. il faut croire que même le temps, immuable et infaillible n'aura eu raison de son tempérament rocambolesque. « toi par contre ! attends, laisse moi te regarder. » qu'il lui glisse d'une voix chargée de tabac, crachant une bouffée de fumée aux volutes sirupeux avant de s'approcher de lui, tout juste à quelques centimètres de son visage. comme avant. ce stupide jeux de regards qui s'éternisait, jusqu'à ce qu'il se solde sur la défaite de l'un et de l'autre. encore là, rien ne semble avoir changé. si ce n'est que les années, ayant marqués leurs visages. ces mêmes orbes verdâtres, pailletées de bleus et de bruns qui s'enflamme au devant des siennes. un haussement de sourcil, puis il fini par s'écarter, un sourire en coin au bord des lippes. « hmm, ça va. il y a encore un peu de potentiel. »

J’arrive à peine à comprendre ce qui se passe. Une seconde j’me prenais la tête avec ces connards qui se sont cru tout permis et la seconde suivante tu m’entrainais plus loin pour le simple plaisir de me servir ces conneries que seul toi arrive à formuler et à comprendre. T’as toujours été un peu trop rêveur Ezekiel, un peu trop poète pour que j’arrive à tout comprendre. Mais c’est ce qui faisait ton charme au fond. C’qui m’a fait craquer probablement. Ça et les regards que tu me lançais. Tu te marres bien là, te fous de ma gueule alors que je te dévisage sans réellement comprendre. Ça doit être un rêve, t’es pas vraiment devant moi. Mais non, c’est bel et bien ton rire, plus grave certes, mais toujours le même rire nerveux, celui du mec qui arrive pas à garder un air sérieux deux minutes. J’arrive même pas à répondre à tes conneries en fait tellement j’suis surpris d’te voir là. Après, j’sais pas pourquoi ça m’fait cet effet-là, j’en croise tous les jours des mecs avec qui j’suis allé au lycée. J’suppose que je m’attendais juste pas à t’voir toi comme on s’est pas revu depuis. J’suis à deux doigts d’te repousser parce que t’envahis mon espace personnel quand tu rapproches ton visage à quelques centimètres à peine du miens et j’me retrouve une nouvelle fois plongé dans le passé. Ce genre de staring contest n’avait qu’une seule issue généralement… pas ce soir. « Recule… ¡ahora! » Encore un peu de potentiel? Mais qu’est-ce que tu racontes encore. Je serre la mâchoire sans comprendre pourquoi je m’emporte comme ça. Peut-être parce que j’avais déjà les nerfs à fleur de peau avant que tu débarques. Peut-être aussi parce que d’te voir là ça fait tout remonter. Cette époque où j’assumais pas. Cette époque où j’ai merdé et gâché une relation qui aurait pu être bonne, qui aurait pu m’faire du bien. Cette époque où je t’ai fait du mal sans jamais m’en repentir. J’veux pas faire face à ça ce soir. « C’est bon, t’as vu c’que t’avais à voir? Pourquoi tu vas pas t’amuser plus loin maintenant ese? » Pourquoi est-ce que j’ressens le besoin d’être aussi froid encore aujourd’hui?