Ça fait un bail que j’suis pas venu donner un coup de main à l’hôpital et, franchement avec ce qui est arrivé vendredi, j’en avais besoin pour me changer les idées. Aujourd’hui, c’est apparemment avec le ménage qu’ils ont besoin d’aide alors c’est ce que je fais. J’enfile une tenue de concierge et part avec mon chariot sur les différents étages pour nettoyer les chiottes. Rien de glorieux, mais c’est aussi ça être un Santos : donner à son prochain. J’suis perdu dans mes pensées avec un écouteur sur l’oreille quand je te vois marcher pile dans ma direction, apparemment inconsciente de ma présence.

@Rafaela Flores

À ce moment précis, j'ai juste envie d'me verdir les poumons à coup de joints. J'sais pas à quoi je m'attendais. En réalité, je le savais bien. Je savais bien que ce rendez-vous avec un oncologue allait se terminer ainsi. Un diagnostic choc. Un coup de poing dans l'ventre. Littéralement. Sa bouche bougeait. Mais j'entendais rien de c'qu'il pouvait bien dire. Un oeil sur Nina. À guetter sa réaction. Sauf qu'elle est restée calme. Parce qu'elle s'en doutait bien. Elle s'en doutait. On en a parlé toute la nuit. Elle a pleuré. Elle m'a dit qu'elle voulait pas mourir. J'lui ai dit que j'laisserai jamais un foutu cancer m'enlever mi hermana. C'est son premier traitement de chimiothérapie aujourd'hui. Elle est en train de se faire installer un accès intraveineux. Je lui ai dit que j'allais prendre l'air un instant. Elle m'a sourie. Forte comme mille, ce rayon d'soleil. J'marche dans les couloirs aseptisés, un goût ferreux dans la bouche. À force de m'être mordillée l'intérieur de la joue. J'cherche frénétiquement mes écouteurs dans mon sac, pour me couper d'la réalité. Sauf que j'tremble comme une feuille et le contenu de mon sac se déverse sur le sol dont les cachets d'antidouleur de Nina. Je jure, ferme les yeux un instant, soupire fortement, me penche pour ramasser.

T’es nerveuse Raf et j’sais pas pourquoi. T’es nerveuse et t’as les mains qui tremblent, tes choses qui se rependent au sol dans un vacarme qu’on entend bien dans ces longs couloirs vides. J’hésite un peu, j’pourrais faire comme si j’t’avais pas vu. Sauf que t’as pas l’air bien… pas du tout même. Et notre dernière rencontre me rester amèrement sur la langue. Alors j’me penche sans un mot et attrape une bouteille de cachet qui roule plus loin que tout le reste. Je la soulève à portée de vue et avise le nom de ta petite sœur dessus. « Nina’s sick? » les mots m’échappent sans que j’puisse les retenir.

Quelques secondes ont suffis. Tu sais... celles qui semblent durer une éternité. Quelques secondes. Juste assez pour qu'un torrent de rage me traverse les veines. Juste assez pour que ma peine se pointe en une perle lustrée un coin de mon oeil. La souffrance qui me bat dans les tempes. L'exaspération. L'abattement. Juste pour une putain d'paire d'écouteurs. Pour un sac renversé à cause de la nervosité. Cet incident aurait été le cadet d'mes soucis. Si j'avais pas entendu ta voix résonner dans mes oreilles alors que mes mains cherchent à foutre mes affaires dans mon sac. J'suis au bord du gouffre, Andres. Et tu sais quoi? Bah j'me fou un peu de pourquoi t'es là. Ça m'vient même pas à l'esprit. Mes yeux embrouillés survole ton visage. Tes yeux m'enfoncent dans un tourbillon d'remords. Exactement ce dont j'avais pas besoin. Toi. Ici. Au moment où j'suis le plus vulnérable. ouais... Voix rauque. Les mots sortent sans que j'réfléchisse. Même si j'ai pas vraiment envie d'en parler avec toi. Pas après c'que j't'ai fait. J'mérite pas tes oreilles ni ton épaule pour pleurer. J'mérite rien. Mes doigts effleurent mes écouteurs emmêlés. Sauf que j'vois plus rien. J'vois que du noir. J'vois rien. J'y arrive pas. J'arrive pas à m'contrôler. Pas à m'relever et lever l'menton. Juste avant d'faire un sourire cynique. J'peux pas. J'arrive même plus à respirer normalement. Mes doigts cherchent à démêler ces foutus écouteurs. Et même ça j'en suis incapable. Parce que j'suis qu'une incapable.

Le temps se suspend alors que tu relèves la tête vers moi, alors que tu sembles combattre tout en même temps. Tes larmes et tes émotions visiblement, mais beaucoup, beaucoup plus que ça au fond. La maladie de Nina, et tout l’univers que tu portes sur tes épaules. Ce poids m’écrase à travers tes yeux et pendant quelques secondes, j’oublie pourquoi je t’en veux à mort, j’oublie pourquoi j’ai arrêté de t’adresser la parole. J’oublie et pendant quelques secondes, on est à nouveau des gosses, on est à nouveaux meilleurs amis. Je traverse l’espace qui nous sépare et viens passer mes bras autour de toi, te serrant contre moi que tu le veuilles ou non.

Le souffle coincé dans ma gorge. À me demander ce que Nina a bien pu faire pour mériter ça. Faut croire que l'karma m'tombe dessus comme une foutue tornade. Parce qu'il a tapé dans ma faiblesse la plus criante: ma famille, ma petite soeur, mon rayon d'soleil, Nina. J'ai la tête en vrac, le coeur à l'envers. Les émotions qui s'tortillent dans mon ventre. Un voile noir qui s’empare de ma vue. La peine et la rage s’entrelacent comme le ying et le yang. J’m’en veux. Pour toi. J’m’en veux. Pour Nina. Parce que la vie m’renvoie les merdes que j’ai causées. La merde que je t’ai causée. Sauf que j’sens tes bras autour de moi et j’vois la tendresse dans tes yeux. Et c’est la goutte qui fait déborder ce vase trop plein qui m’sert de cœur. Ta gentillesse m’fait l’effet d’un coup d’poing en pleine gueule. Un sanglot me secoue les épaules. Pourquoi tu fais ça putain? Pourquoi? J’retombe en enfance. J’te sers contre moi comme si t’étais une putain de bouée de sauvetage. Ça m’brise le cœur et le rempli d’joie en même temps. Le réconfort qui naît au creux d’mon cœur. Comme si t’étais la solution à tous mes maux. Comme si tout c’temps-là c’était de toi dont j’avais besoin. Un torrent sur mes joues. Tes vêtements mouillés. Le goût salé d’mes larmes dans ma bouche. Mais si quelqu’un m’demandait. J’lui dirais que j’ai une poussière dans l’œil. Parce que j’ai une réputation à garder.

T’avoir contre moi est à la fois un soulagement et une malédiction. Parce que ça me fait autant de bien que de mal et.. au final, c’est un peu comme de la glace sèche. C’est froid, mais ça brûle. Je ne te lâche pas pour autant, si j’dois me brûler, autant que j’le fasse entièrement. Je te serre donc plus fort encore et la boule dans ma gorge se fissure, laissant couler quelques larmes sur mes propres joues. Je pleure notre amitié perdue, mon père absent et ta petite sœur malade. En silence, bien sûr, juste là, agenouillé sur le sol fraîchement lavé de l’hôpital après plus de 7 ans de silence entre nous. Il ne nous faut désormais aucun mot pour exprimer nos émotions.

J’dois probablement être dans une twilight zone live. Moi. Toi. Agenouillés dans un couloir d’hôpital. À chialer dans les bras l’un de l’autre. Après des années à t’éviter. À m’en vouloir. À faire comme si j’étais en colère contre toi. Alors que c’est moi qui me dégoûte. L’espace d’un instant, j’me sens comme à la maison. Dans tes bras. J'sais pas combien de temps. Pas assez? Une éternité? Mais rapidement notre passé me rattrape. Ta peau sur la mienne est douce et si dure à la fois. Si douce pour mon moral et si amère pour mon cœur. « I’m sorry…» J’ose même plus te regarder dans les yeux. Putain qu’est-ce que je viens de faire? Je m’excuse. Pour la première fois depuis probablement toujours. À la fois parce que je suis accrochée à toi comme un bébé koala (pathétique). Mais aussi parce que je t’ai volé ton père. J’me relève. « You don’t have to do this. » J’me râcle la gorge. Renifle. Vraiment pathétique. Bordel. J’essuie les larmes qui doivent avoir laissées leur trace sur mes joues, gonflés mes yeux. J’me suis jamais excusé. J’avais trop honte. C’est encore le cas.

J’me souviens pas de la dernière fois où j’me suis permis d’avoir aussi mal, de laisser mes yeux couler comme si j’étais encore un gamin. Mais ça fait du bien au fond, j’vais pas me mentir, ça sert à rien. T’es la première à briser notre étreinte et lorsque je t’entends t’excuser, mon cerveau m’envoie un message d’erreur. Est-ce que tu t’excuses parce que tu pleures ou pour tout le reste Raf? Je me racle la gorge et me relève à ta suite en essuyant rapidement mon visage, l’orgueil qui reprend le dessus. « Do what? » Te prendre dans mes bras? Te soutenir alors que visiblement, tu traverses cette chose difficile qu’est la maladie? J’ai beau t’en vouloir Rafaela, la famille, c’est la famille. Et Nina est comme une petite sœur pour moi aussi…

J’sais plus où j’en suis. Sincèrement. J’sais pas si j’pleure de colère ou de rage alors que j’me relève péniblement de cette étreinte. Fais-moi pas croire qui a un once d’espoir qu’on puisse réparer mes erreurs. J’suis pas certaine de savoir si je m’excuse pour aujourd’hui ou pour avoir gâché ta vie. Les deux, j’imagine. J’ai pas la force de te foutre mon sarcasme en pleine gueule aujourd’hui. Pas la force de me battre contre les sentiments qui pourrissent en moi quand j’pense à toi. Mon ton monte d’un cran. J’ai pas l’intention de crier mais ça sort tout seul. « Doing what? THIS. » J’passe ma main dans mes cheveux nerveusement. « I don’t know. Being you! » Le mec qui me réconforte alors qu’il devrait me détester. Putain. Tu m’fais sentir comme un merde Andres. J’suis assez bonne pour le faire moi-même. « Why are you still caring? Stop. You should fucking scream, be angry, whatever. But you’re here… Taking me in your arms like I didn’t ruined your life. » Mes derniers mots s’échappent de ma gorge avec beaucoup trop de vulnérabilité que je l’aurais voulu. Mais j’y peux rien. D’toute façon, tu m’connais trop.