Dans un soupir, Drew pose son stylo sur la pile de copies qu’il est en train de relire. Il en reste encore une bonne dizaine, mais s’il ne prend pas une pause maintenant personne dans ce cours n’aura la moyenne. Il prend une gorgée de café et regarde la salle du coffee shop autour de lui. Pas trop de monde, tant mieux. Un type assis à sa gauche à le nez dans un livre et même s’il sait qu’il n’est pas censé fixer les gens, Drew se surprend à l’observer jusqu’à réussir à voir la couverture de son livre. C’est plus fort que lui, dès qu’il y a un bouquin impliqué… Il sourit quand il arrive enfin à déchiffrer les mots. Stephen King. 11/22/63. “Vous en êtes à quelle partie ?” Comme si fixer un inconnu dans un café n’était déjà pas assez bizarre, voilà que Drew se met à lui parler. Il est soudainement partagé entre l’envie de disparaître et celle que cet homme ne le trouve pas si bizarre que ça… Comme la première solution est impossible, il continue. “Désolé, j’ai adoré ce livre. J’adore Stephen King de manière générale, mais c’est un auteur plutôt controversé. Vous êtes un fan ou juste un curieux ?”

 

Assit tranquillement au café à lire un bouquin recommandé par la vendeuse à la librairie, je dois admettre que c'est pas mon premier par Stephen King. On m'a aussi recommandé quelques auteurs dans son genre, mais il écrit définitivement des classiques alors je me plais à passer tranquillement à travers son énorme collection. Lorsque j'entends une voix, je ne comprends d'abord même pas que c'est à moi que l'on s'adresse. Ta voix s'élève de nouveau et je lève enfin les yeux sur toi, lesquels je cligne, dubitatif. « Fan aussi.. » J'hésite à replonger dans le livre, mais comprends que ce serait rude de ma part et le dépose finalement avant de siroter mon café sans te quitter des yeux. « Ton roman favori? » J'suis bien élevé, aller pas croire, mais j'me vois mal vouvoyer un mec qui semble avoir à peu près le même âge que moi.

Le sourire de Drew grandit encore quand le jeune homme lui répond. Il pivote sur sa chaise pour se tourner vers le type. “De King… La Tour Sombre, le dernier.” répond-t-il, sans hésiter. “Tu l’as déjà lu ?” Puisque l’inconnu le tutoie, il ne voit pas de raison de ne pas le faire non plus, même si ce n’est vraiment pas dans ses habitudes. Au moins, ils parlent de livres et sur ce sujet, Drew pourrait tenir des heures. Fort probable que ce soit ce qui arrive si l’autre continue de lui répondre, en fait. “Roman en général… J’hésite. J’aime beaucoup les livres de Jonathan Coe, en particulier The Terrible Privacy of Maxwell Sim. Sinon, le dernier livre que j’ai lu qui m’a vraiment marqué… C’était They both die at the end, d'Adam Silvera. Un truc pour ado, normalement, mais l’histoire était vraiment prenante ! Et toi ?” Pour quelqu’un qu’on accuse souvent de ne pas être très amical, il a l’impression de s’en sortir vraiment bien !

Ton sourire est contagieux, me faisant esquisser l'ombre d'un rictus alors que tu sembles déjà passionné par notre conversation. À ta question, j'hoche la tête et dépose ma tasse sans pour autant en retirer mes mains. Seigneur, j'croyais pas t'envoyer dans un monologue en te demandant ton livre favori, mais comme le sujet m'intéresse, j'suis pas encore trop frustré par cette conversation. « Je ne connais pas ce roman de Jonathan Coe.. mais j'ai entendu parler de celui d'Adam Silvera. Un auteur semblable à Becky Albertalli je crois? L'auteure de Simon vs. the Homo Sapiens Agenda? » Je réfléchis.. mon livre favori. Le choix est trop vaste pour s'arrêter sur un seul titre, non? « Je crois que je n'en ai pas. J'en ai adoré plusieurs, détesté tout autant et j'imagine que j'en découvrirai encore qui iront dans l'une ou l'autre des catégories. » Mon sourire s'élargit un peu, atteignant cette fois mes yeux.

“Oui, c’est bien lui. Ils ont écrit un livre tous les deux, d’ailleurs ! What if it’s us. Super bouquin aussi.” C’est assez rare que Drew tombe au hasard sur des gens qui veuillent bien parler littérature avec des inconnus. L’homme ne voit pourtant pas de meilleur moyen de vraiment connaître quelqu’un. Un seul livre en dit tellement sur une personne. Et cette conversation ne déroge pas à la règle. “Je suis assez d’accord,” accorde-t-il au jeune homme qui refuse de choisir son livre préféré, “même si moi j’ai fait l’effort de trouver une réponse ! Ton livre du moment alors ? Ou le dernier que tu as lu et qui t’as marqué positivement ?” Il a envie de savoir, vraiment. D’en connaître plus sur quelqu’un dont il ignore même le nom. “Au fait, je m’appelle Drew.” se présente-t-il en tendant une main vers l’inconnu. “Désolé pour l’interruption, je ne résiste jamais à un livre…”

Hochement de tête à la positive, il me semble bien aussi. Je ne les ai pas tous lu, évidemment, mais ce genre d'auteurs ont tendance à trouver un genre et toujours écrire plus ou moins sur le même sujet. Qui peut les blâmer? N'est-ce pas exactement ce que font aussi les auteurs de polar par exemple? « Mon livre du moment.. » Je reprends le bouquin de King dans mes mains et le lève pour le bouger un peu en haussant les épaules. « Et.. ça compte si c'est un livre de langue qui m'a permis d'en apprendre une nouvelle? » Tu n'as pas spécifié qu'il devait s'agir d'un roman, si? Je regarde brièvement la main que tu me tends avant de la serrer dans la mienne. « Daniel. » Mon regard se perd dans le tiens une seconde ou deux, comme si je sondais ton âme. « Drew... pour Andrew? » À tes excuses, je secoue simplement la tête en reprenant ma tasse pour en boire une longue gorgée pointant finalement la place devant moi avec un regard interrogateur à ton attention, t'offrant silencieusement de me joindre.

Si Drew n’est pas tout à fait d’accord avec le choix fait par l’inconnu, il se contente pourtant d’un hochement de tête en jetant un regard à la couverture secouée sous son nez. Il a beaucoup aimé ce livre aussi, quand il l’a lu. Ça lui est vite passé ensuite et il devine que ce sera le cas aussi pour cet homme. Probablement juste parce qu’il a envie de leur trouver des points communs. “Quelle langue ?” demande-t-il à la deuxième tentative du jeune homme. “Mais oui, évidemment que ça compte !” Il se présente ensuite et baisse les yeux, gêné à la fois par le regard insistant de Daniel et par la question qui vient ensuite. “C’est ça, oui. Mais juste Drew, ça ira très bien.” Il tire sa chaise pour s’approcher un peu de Daniel, sans venir vraiment s’installer à sa table non plus. “Si je devais faire un seul reproche à ce livre,” reprend-t-il en pointant de nouveau le roman posé devant le jeune homme, “c’est que les théories scientifiques sur le voyage dans le temps sont à peine survolées. C’est un sujet tellement fascinant et King choisit la voie la plus bateau qui soit…”

« L'italien. » Mais ce n'est là que l'une des nombreuses langues dont je peux désormais me venter pouvoir parler et comprendre. Non pas que je sois du type à me venter de quoi que ce soit, mais voilà. Ta réponse me laisse croire que tu n'aimes pas particulièrement ton prénom entier et j'en prend mentalement note alors que tu t'approches, sans pour autant prendre carrément la place libre devant moi. Je penche un peu la tête, t'analysant. Toi, tu reviens sur ma lecture actuelle. Apparemment, t'es un passionné. « Mh.. Si tu préfères les recherches détaillées, tu devrais peut-être te pencher vers Bernard Werber dans ce cas. » Peut-être pas sur le même sujet, mais quand on parle d'un homme qui fait ses recherches, définitivement, c'est l'un de ceux qui me vient immédiatement à l'esprit.

Drew s’emballe peut-être un peu plus que nécessaire. À sa remarque relativement aléatoire sur le livre qu’est en train de dévorer Daniel, en tout cas, ne s’en suit pas une longue conversation animée sur les voyages dans le temps. Il ne perd pas son sourire pour autant, cela dit. “J’ai essayé de lire l’un de ses bouquins, il y a longtemps, mais… Je n’ai jamais tellement accroché.” avoue-t-il. C’est son droit le plus cher, bien sûr, mais il s’arrange tout de même pour changer de sujet rapidement. “L’italien, alors...” Il observe scrupuleusement le jeune homme à ces mots, essayant de comprendre pourquoi avant même d’avoir posé la question. C’est comme un jeu pour lui : deviner, pour voir s’il arrive à lire les autres. Il échoue très souvent. “Pourquoi cette langue ? Tu prévois un voyage ?” C’est l’explication la plus cohérente, quoi qu’il ait appris depuis longtemps que les êtres humains sont rarement logiques. “Tu parles beaucoup de langues étrangères ?” Cette idée le fascine presque autant que les livres ou les sciences, lui qui ne s’est jamais donné la peine d’apprendre une autre langue que la sienne.

Alors Werber n'est pas pour toi. C'est pas plus mal, tous les auteurs ne peuvent pas être bon pour tout le monde. Si c'était le cas, la diversité n'existerait pas et ce serait bien triste. « Oui, l'italien... Pour voyager, mais aussi pour mon plaisir personnel. » Petit sourire, gorgée de mon café. « Mhmh.. tu veux deviner combien et lesquelles? » Je ris doucement, m'habituant visiblement à ta présence et me réchauffant un peu à ta compagnie.