Ce soir, Jade n'est pas aux platines avant deux heures, mais le Sweet Asylum étant comme une seconde maison pour elle, personne n'est surpris de la voir accoudée au bar, un gin tonic posé devant elle. Elle salue bon nombre de personnes ; elle commence à bien connaître les habitués, dont certains sont même devenus des amis. Prise dans une discussion semi-intéressante, elle ne voit pas tout de suite la jeune femme qui s'est approché d'elle. C'est difficile de surprendre Jade, et pourtant, le joli minois qui vient de se planter à sa gauche la laisse bouche bée une seconde. "Lina ?" La surprise passée, elle plante un baiser sur chacune des joues de la belle. "Joder, mais qu'est-ce que tu fous là ?" Elle baragouine quelques mots d'espagnol, après tout elle a grandi dans un quartier essentiellement latino, c'était son quotidien. Catalina appartient d'ailleurs à cette époque-là de sa vie.

Se retrouver face à Lina réveille la mémoire de Jade. Les soirées planquées derrière le local poubelle à discuter pendant des heures, les fous-rires d'adolescentes, les secrets révélés qu'il ne fallait pas répéter promis-juré-craché. Elles ne se sont pas vus depuis quatre ans, alors que Jade s'échappait de l'appartement parental et que Catalina partait faire étudier. Face à la belle latina, Jade à l'impression d'avoir de nouveau quinze ans. "Je bosse ici, je suis DJ." Coup d'oeil à la montre qu'elle porte au poignet, il est minuit. "Je commence dans deux heures, on a largement le temps de discuter !" Il faut crier pour se faire entendre, alors elle fait signe à Catalina de la suivre vers un endroit moins bruyant. "Alors, tu deviens quoi ?" demande-t-elle en prenant place dans un fauteuil, son verre à la main.

Jade s'incline de manière théâtrale en riant. "Mais de rien, ravie de faire bouger ce corps de déesse !" Elle se sent légère avec Catalina, pourtant la vie était loin d'être rose du temps où elles se fréquentaient. Mais à l'époque, son amie était pour elle un soutien infaillible, et Jade a une bonne mémoire, elle n'oublie pas les gens qui l'aident. Elle est tout de même étonnée de retrouver son amie à LA, elle se souvient de ses ambitions, et met les deux pieds dans le plat. "J'suis étonnée que tu sois revenue ici ! Je pensais que tu serais déjà à Paris ou à Milan, en train de remplacer Dior et Valentino sur le podium des créateurs !" LA est la capitale de bien des rêves, mais certainement pas celle de la mode. "Same here ! J'avais peur de jamais te revoir." Emotive, Jade ? Rarement. Mais il faut bien des exceptions. Et après tout, fut un temps, elle n'aurait jamais imaginé travailler dans cette boîte, et mener une vie somme toutes paisible.

Ah, Boyle Heights. Elle pince les lèvres. Pas facile d'en sortir, quand on y est né. Jade évite le quartier comme la peste, il lui faut une bonne raison pour y mettre les pieds. "Merde, la fashion week sait pas ce qu'elle perd !" Tout ce qu'elle souhaite à Lina, c'est de trouver la voie du succès. "En parlant de famille, comment va ta soeur ?" Elle sait que l'aînée est toujours dans le coin et a toujours trainé avec des gens plus ou moins louches. Jade abandonne ses mains à celles de Lina, les presse en retour. "Ouais j'évite Boyle, pas vraiment de bons souvenirs... Tu vas pas le croire mais j'habite à Los Feliz maintenant ! T'aurais imaginé ça toi, y a quatre ans ?" Elle-même a encore du mal à se faire à l'idée parfois, comme si elle allait se réveiller chez ses parents un beau matin, en ayant rêvé les dernières années. "Je fais du son, je fais la fête, et j'ai ma piaule... J'ai dû avoir un retour de karma." Elle rit. Son karma, ça fait bien longtemps qu'elle n'y prête plus attention.

Jade se garde bien de préciser qu'elle vient de s'embarquer dans le même genre d'affaires louches que Vesta. Catalina n'a toujours pas l'air d'approuver - ce qu'elle peut comprendre. Elle se contente de hocher la tête d'un air concerné. "Eh non, j'me suis refait une santé financière !" dit-elle en mimant le geste d'envoyer voler des billets. Pour être tout à fait honnête, Ethan lui a refait une santé financière, mais bon. Elle ne résiste pas à l'envie de se garder une part de mérite. "I'm my karma's boss !" lâche-t-elle avec un air altier. Elle sort un sachet de coke, une petite ligne pour se remettre en forme. "Toujours pas ton truc ?" elle demande à son amie.